2017-2014



     C’est un projet d’encyclopédie illustrée dont il existe actuellement une centaine de "pages", qui accompagne et qui répond en noir et blanc aux questions posées par les toiles. D’où proviennent les images ? Comment voyagent-elles les unes dans les autres en contrebande, sans restriction de temps ni d’espace ? Réminiscences et transfert. C’est Abby Warburg, l’un des premiers à son époque, qui s’est penché sur le phénomène de la manière la plus intelligente.

     À l’aide des moyens les plus simples (un pinceau, de l’encre noire et du Gesso sur un papier de format 150x150cm), réaliser une image accompagnée d'un titre commençant par un article défini. Un dictionnaire sans définitions où les mots ne cadreraient pas entièrement avec leur représentation, qui subirait dérapages, coupures, collages : "travail de rêve", toutes les possibilités de caricatures de concepts, y compris jeux de mots, associations libres ou contre nature qu'induit la labilité des images. Comme au cours du rêve les éléments subissent parfois une distorsion importante, d’autres fois cela coïncide, tout au moins apparemment, car le référent ne cadre jamais entièrement avec son image.


Doppelte Bewegung, a group show curated by James Geccelli at Schau Fenster, Berlin.

                Michel Carmantrand explores the interrelations of reality and picture, between language and picture. In what respect are pictures »appearing«? In which way do pictures come »back« in the midst of memories and souvenirs, fragments, scenes, and moments? From where and what for do they »suddenly« come up? Can perception maybe be altered by means of the classic rhetorical figures of the metaphor? Michel Carmantrand is interested in the gap between image and term. He understands his pictures as devices for observation in order to attend the image generating process. His tools are paper, paintbrush, water, gesso and ink and the title. The upper drawing is named clew (L’écheveau). A clew is formed by one or more rolled up threads into a ball. The word already implies a sample for our imagery. The many entangled threads have coiled up to a ball. Rather than showing what is tangled, it’s an entangled image. In the drawing the resemblance to the wad is almost gone. The thin interweaving of the lines, the clarity and transparency of the shape is quite opposite to a wad. There is a gap between the picture and what we associate with the term. Image and term are, for Michel Carmantrand marks on an imaginary map, where the gaps between image and term are charted. The second sheet is titled the creature (La créature). The word comes from the Latin creatura, creation, to create. In the Bible translations the term is often used as a synonym for creature of God the Creator. Today it is used mostly for an intelligent being created by man, such as Frankenstein or the monsters in fantasy fiction. The sheet the creature, made wet on wet with blurred contours, reminds us of the condensation inside closed glass jars. Drops form and start running merging with other formations: while my gaze is searching for recognizable patterns.
James Geccelli







Le méchoui




La roseraie (d'après Detel Aurand)




Le muet




Le manchot




L'homme à la pipe




L'idiotie




La séduction




Le dragon chinois




Le gardien




Le pêcheur de morues




L'animal




L'écheveau




L'eau-forte




L'échiquier




L'éclair




La pointe




L'Espagnol




L'oeuf pourri




L'homme bon




L'ornement




La boussole




La chute des lunes




La claire-voie




La coupe




La composition




La créature




La crotte




La gousse




La mare




La jeune fille




La parure celte




La poésie




La ressemblance




La nymphe




La révolution




La sculpture




La Tahitienne




Le bachi-bouzouk




Le balai




La tragédie




Le buste de Socrate




Le calmar




Le chapeau




Le champ magnétique




Le ciel et la mer




Le coiffeur




Le crustacé




Le détail




Le e




Le Laocoon




Le léopard




Le moineau




Le lièvre




Le motif




Le nu allongé




Le plongeur




Le panda




Le rébus




Le ricaneur




Le rire




Le serment (d'après Nicole Eisenman)




Le souvenir








Le roi des pieds




Le vase




Le ver




Les coins




Le vieux marin




Les écailles




Les bandes




Les algues




Les boutons




Les fesses




Les chemins




Les lignes de la main




Les croix




Les tranches




Les gouttes




Les tropiques




Les lunettes




Les mines




Les moutons du ciel




Les oiseaux mexicains




Les tas crépusculaires




Les tripes du prophète




Les vitres




Les yeux





Le cycle des choses simples (notes):


     Ce seront des images bêtes, ou au moins relativement naïves, comme celles qu'aimaient Rimbaud. Elles devront contenir certains aspects de mon "expérience du monde".

     Au fond, on peut considérer Le cycle des choses simples, dans son extension iconographique et dans ses moyens (systématiques et réduits), comme un dispositif d'analyse et de mise à jour des conditions d'émergence de l'image, d'une certaine image "peinte" dont les manifestations seraient peut-être à étendre au-delà des frontières occidentales, à la condition de postuler que les cerveaux de tous les hommes possèdent les mêmes "possibilités imaginaires" et qu'ils se comportent en règle général de la même façon.

     Mon intérêt grandissant pour le langage comme producteur d'images m'a fait commencer ce cycle récemment, et me pencher sur les capacités de celui-ci à transformer la perception par le biais des figures métaphoriques et métonymiques qu'il utilise en toutes circonstances.

     Parmi les milliers d'images qui nous traversent l'esprit à chaque instant du jour et de la nuit, certaines s'imposent qui possèdent une puissance originale, produisant des échos persistants, que l'on perçoit au cours d'un "moment", dans un battement qui les fait alternativement s'évanouir et réapparaître comme en roue libre (ce qui ne veut pas dire qu'elles n'obéissent pas, par ailleurs, toutes, à des lois sévères).

     Leur insistance me les a fait reconnaître comme plus importantes que les autres ; aussi me suis-je décidé à en retenir et à en "formuler" certaines, plastiquement parlant, à l’aide des moyens les plus réduits et les plus simples : du papier, de l’encre noire, du Gesso (blanc), de l’eau et deux ou trois brosses de largeurs différentes. Rien de sophistiqué : pas d’encre de Chine ni de pinceaux spéciaux hors de prix:  des pinceaux à trois balles et du colorant universel.

     Pour respecter le caractère fluide, évolutif et combinatoire des images mentales, qui se dégradent et se recomposent constamment sans pour autant perdre de leur unicité, "l'image tout court" requiert durant sa réalisation une certaine disponibilité souple, d'acceptation et pour ainsi dire de montage, jusqu'à ce qu'elle soit "fixée".

     Dans ce but, les moyens employés sont adéquats. Bien loin de la neutralité plate et un peu statique de la toile tendue sur châssis en peinture, les réactions spontanées, rapides, imprévisibles, du papier, infèrent des réponses imprévues, inespérées, des solutions proprement inimaginables. Chaque sollicitation du support entraîne une modification à vif du projet initial, car c'est dans cette labilité que l'on retrouve cette plasticité de l'image mentale, toujours prête à évoluer avant de s'éteindre. Ces images, si elles sont réalisables, ne s'immobilisent pas avant de s'être "atteintes". On peut se les représenter comme particulièrement fuyantes, luisant dans l'obscurité comme des savonnettes que l'on tenterait d'attraper avec des mains humides et mousseuses.

     Et ainsi aurais-je substitué une image à la définition de l'image en question, par impuissance du raisonnement, par faiblesse, en soulignant seulement que ce que j’appelle ainsi "image mentale", par défaut, n’est pas une notion imperméable et autarcique, contrairement à ce qu'on pourrait croire : même durant la nuit et dans le noir complet elles procèdent d’une infiltration du jour, suivie de cette métamorphose qui leur permet d’acquérir une autonomie apparente, frappante. Ce qui veut dire que chacune d’entre elles provient d'un "dehors" et que nous nous les approprions au prix de cette translation, de ce renversement.

     Il n’est donc pas question de parler ici d’un intérieur secret et d’un extérieur profane, par exemple. Toutes ces images sont, au fond, partagées par tous, où que cela soit. Seul le caractère spécialisé et personnalisé de leur transformation, dans le meilleur des cas pour cela qui m’occupe, leur donne un accent qui les fera reconnaître pour, éventuellement, de l’art : soit, l'état final d’une transformation particulière des données communes.

     C’est d’ailleurs de cela que l’art vaut quelque chose : parce que ce que l’on y découvre, on le reconnaît. Ce que l’on ne porte pas en soi, on ne peut l’actualiser, on ne peut pas le voir.  En d’autres termes, il provient du caractère a priori éminemment commun et partagé de l’image que celle-ci soit acceptée ou rejetée, puisque la louange ou le blâme, dans ce contexte, ne sont que des modalités d’un même jugement: deux points d’une ligne.

     Par ailleurs, cette autoproduction d'images mentales ne cessant pour ainsi dire pas, sinon au cours d'états comateux, ou de sommeil profond (et encore, cela reste à voir: il suffirait sans doute, je le suppose, d'avoir accès à d'autres couches, mieux gardées, pour constater que les images poursuivent perpétuellement leur tâche sous-jacente), donne au phénomène un caractère non seulement indépendant des lieux et des cultures, mais circulaire, lenticulaire (grossissant), global. D'où la circularité potentiellement infinie du projet du cycle des choses simples.

     Les métaphores nous pressent, comme les ombres infernales autour d'Énée. Et ces pensées mortes doivent revivre en chaque enfant, comme le mythe du Léthé l'exprime, métaphore sur les métaphores. Et ceux qui méprisent les jeunes métaphores, nous les nommons pontifes, c'est-à-dire prêtres et ingénieurs par une double métaphore. Alain, Propos, 1921, pp. 333-334.

     L'objet que nous désespérons d'atteindre, nous pouvons néanmoins nous le représenter par l'image que nous nous faisons de lui au cours du processus même de cette réalisation d'une image. Avant, il est trop tôt, après, il est trop tard, nous sommes passés à une autre (image, objet). Toutes recouvrent le désir et celui-ci est un, au contraire de celles-là qui foisonnent. Les images n'interviennent qu'afin de nous permettre de poser un masque sur le visage de cela que l'on porte en soi d'irreprésentable. Le caractère non pas abstrait, mais inimaginable du désir, à défaut de s'affirmer dans des gestes (produisant à leur tour des myriades d'images, toutes inadéquates), doit recourir aux mots.

     Ce qui tape à la porte n’étant pas figurable, l’image qui l’habille emprunte ses oripeaux au langage, qui mieux que tout sait travestir et parer les créatures amorphes sur le point d’entrer en scène. De cela, dans ce but, l’image endosse ses figures. Elle peut ensuite, à rebours, se décrypter comme métaphore et rébus, de même que les rêves. Ce qui veut dire qu’il n’existe pas d’image sans mots. Ce qui veut dire que c’est en parlant que l’on voit. Ce qui veut dire que le langage produit les images, par la dissociation qu’il opère et la distance qu’il instaure, dont bénéficie le spectateur de nous-mêmes que nous sommes, en somme.

     Par ailleurs, la relation qui s'établit dès à présent entre le titre et l'image réalisée fait elle-même partie, sinon du processus, de la réception. La plupart des mots comportant plusieurs significations, toutes contextuelles, l'ambiguïté propre à la langue, loin de fixer et d'immobiliser l'image dans une acception particulière, favorise la prolifération du sens de celle-ci, par l'annulation de toute affirmation péremptoire. Le titre interagit, participe, élargit, diffuse.